Engagement
Je suis née voyageuse. C’est le don qui m’a été fait. Humaniste de religion, je m’identifiais durant 15 ans aux souffrances et injustices de mon humanité blessée.
Enfant unique jusqu’à l’âge de 9 ans, je vécus dans un monde imaginaire où l’image avait une place centrale. Mon identité déchirée, entre deux parents divorcés aux antipodes culturels, ne pouvait se construire. Je partis donc à la conquête du monde et de moi-même dès mes 20 ans. Mon initiation au voyage, ce fit en Amérique centrale durant un an, nourrissant pour cette partie du monde un attachement qui ne m’a jamais quitté. De retour, je découvris la photographie en 1983 à Arles avec Eikoh Hosoe et Guy Le Querrec. Je trouvais le médium parfait qui me permettait d’associer le voyage, le récit, son émotion directe et ma quête de vérité : « L’émotion est une chute brusque de la conscience dans le monde magique », disait Sartre. Cette même année, je partis pour Princeton en tant qu’assistante. L’année suivante, admise à ICP à NY, fondée par Cornell CAPA, j’y construisis mes premiers sujets.
Je plongeais alors avec un Nikon F, dans l’histoire des autres avec une aisance insolente, faisant de leur vie ma cause. Je n’avais peur de rien et en fis un métier. Le photojournalisme devint une passion qui m’entraîna aux premières loges de l’Histoire. J’en témoignais avec foi m’attaquant alors à des sujets périlleux et tabous : L’inceste, les abus sexuels, la peine de mort, l’esclavage. Cette humanité humiliée souffrait plus que tout autre. Je n’y changeais rien sinon ma propre conscience.
Il y eut aussi la guerre : L’Ex-yougoslavie, son horreur comme le viol ; crime de guerre, la Palestine, Bucarest 89, les massacres visibles et moins visibles, la frontière Rwanda – Zaïre en juillet 94. J’étais de plus en plus hantés par ces récits qui résonnent encore, refoulés mais pas évacués. Je me posais alors la question de la mise en danger et du sens de l’image par rapport à la manipulation médiatique. J’avais perdu ma foi aveugle.
Ainsi, poussée par la dureté de mes collègues et la saturation émotionnelle, je quittais enfin l’agence en 1995 pour une mise en distance avec le factuel. Puis je quittais définitivement la presse en 2000 et pris le temps de cicatriser. Tout cela fit de moi, l’artiste que je suis .